Les glaces à la vanille sont-elles préparées par des filles ? Et les steaks tartare par ceux qui en ont dans le falzar ? Le Fooding a posé la question dans sa dernière édition. Résumé d’une investigation en cuisine où le transgenre finit par triompher.
Quand on fréquente les restaurants bio le midi où l’on mange des soupes, des salades de graines germées assorties d’un thé vert, on se dit que le cuisinier est forcément blonde ?
Et pourtant… Prenez l’Arpège dans le 7e arrondissement parisien et sa carte archi-légumière faite d’épinards fanés au beurre noisette et de tarte bouquet de roses aux dragées. Vu le concentré de subtilité présenté, il ne peut être conçu qu’aux oestrogènes, me direz-vous. Que nenni, le chef n’est autre qu’Alain Passard, le célèbre cuisinier étoilé converti aux légumes il y a quelques années. « En 2001, coup de tonnerre dans le Landerneau, écrit le chroniqueur Fooding Matthieu Jauniau-Dallier, le chef adulé perd la fibre animale et boute la viande rouge loin de ses cuisines.
Sa géniale flemme lèchera dorénavant les oubliés des banquets : les racines maintenues dans l’obscurité, les betteraves cul-terreuses, les têtes de chou qui font de la figuration. Grillé, flambé, attendu, fumé, désiré, rôti, bronzé, braisé ou encroûté de sel, c’est tout un peuple potager qui s’y fait caresser.»
Et les femmes alors, ce sont elles désormais qui cuisinent des côtes de bœuf et des abats ? Parfois. Dans ce numéro du Fooding, les auteurs proposent de retrouver les chefesses derrière des sandwichs au pastrami, chou, sauce Thousand (mélange de mayo, ketchup, oignon, cornichon, raifort, citron et sauce Worcestershire), des fish and chips, des kebab. Empêtrés dans notre éducation de bonne famille réactionnaire, on tombe chaque fois dans le panneau pensant que tout ce qui est vert rime forcément avec ovaire.
S’il on se fiait aux statistiques, il serait plus facile de ne pas se tromper. 95% des brigades de cuisine sont dirigées par des hommes.
« En gros, pour entrer au pays des chefs, écrit l’irlandaise Trish Deseine, la chefesse n’a que deux options : soit s’en faire pousser une paire, soit se satisfaire de sa condition de cuisinière maternante. » « Dans les cuisines pro, on a encore l’impression que les hommes séduisent et que les femmes nourrissent, » confie Delphine Zampetti, la patronne de ChezAline. Pourra-t-on dépasser un jour le cliché ? « La cuisine pour moi, c’est donner à manger à des gens, explique Raquel Carena, rien à voir avec votre condition sexuelle.
Chacun son style, certes, mais le style culinaire n’est pas déterminé par votre féminité ou votre masculinité. (…) Moi par exemple, je n’ai jamais fait la cuisine comme une fille ou un garçon. Je me suis formée toute seule sans école ni organisation, sans jamais me poser cette question. »
Pour Matthieu Jauniau-Dallier, la question du plat féminin ou masculin est largement dépassée. L’heure est à la cuisine queer, celle qui mélange les genres, s’en affranchit voire les transcende.
« Lieu de normes, de protocoles, de matrices, de classements, de traditions, de disciplines militaires, la cuisine est par excellence, une capitale des ravages du genre. Trop de gastronomies s’échauffent encore aux vapeurs de naphtaline, un pied sur l’accélérateur, le frein à main bien enclenché. Pourtant en contrebande, quelques bonnes âmes rebelles ont infiltré les cuisines pour aérer ces vieux sanctuaires.
Ces bons génies, des petits démons ont balancé la moquette, brûlé les rideaux, déchiré les menus en lettres penchées, siphonné la cave, cassé la vaisselle, vendu l’argenterie, oublié le caviar, adoré les légumes, mangé des herbes folles, anobli des bistrots, foncé dans la rue, libéré les homards, ensauvagé les obséquieux, flingué les frontières et foutu la sono. »
Ils s’appellent Yves Camdeborde, Adeline Grattard, Alexandre Gautier, Victor Arguinzoniz, Stéphane Jego, Delphine Zampetti…, se fichent des conventions sexistes et se font amicalement queers. Des libre-cuiseurs qui n’en font qu’à leur tête qu’elle soit à couettes ou à moustaches. A déguster de toute urgence dans le guide du Fooding 2014.
Source: http://blog.laruchequiditoui.fr/la-cuisine-a-t-elle-un-sexe-that-is-the-question/